La maison ordinaire à Paris
(1650-1790), construction et exploitation
Linnéa
Rollenhagen Tilly
« Quant aux
bâtiments des villes particulièrement, on ne peut avoir de lieu salubre, si on
choisit sa demeure proche des
cloaques, & places immondes,
& en une rue étroite, ou habitée par gens de métiers sordides. L'assiette sera commode, si
elle est éloignée de la demeure des artisans qui font beaucoup de bruit en
leurs métiers; comme armuriers, chaudronniers, menuisiers, maréchaux & autres semblables; si on n'est trop près des
églises, de peur du bruit des cloches, ny trop loin, pour l'incommodité du
chemin ; si on est proche de ses parens et meilleurs amis, de l'eau, du marché, des lieux d'affaires & si le
logis est situé dans une rue large &
spacieuse, tant pour la commodité des jours & de l'aspect ou veue de bastiment, que par celle du passage, avenue, et entrée des
carrosses»[1].
Même si ces conseils de Louis Savot sont destinés à la
conception de belles maisons, ils dépeignent en creux les inconvénients des
bâtiments d’habitation modestes en milieu urbain. Implanté aussi bien dans
les beaux quartiers que dans les quartiers populaires, l’habitat ordinaire
renferme un ensemble de maisons moyennes, aux contours flous et mouvants
comprenant des bâtiments des plus élémentaires mais aussi des grands ensembles
de rapport, essentiellement destinés au peuple et aux petits bourgeois. Cette
hétérogénéité de formes explique la difficulté d'adopter un vocabulaire adéquat
afin de définir un groupe complexe de constructions. Les chercheurs emploient
d’ailleurs différents termes : mineure, élémentaire, anonyme,
vernaculaire, domestique, locative, habitation collective, maison de rapport, bourgeoise, etc. L’expression « ordinaire » nous
semble toutefois être la mieux appropriée, car elle est à la fois précise
et nuancée : qualifiant la qualité de ces
constructions, « qui ne dépasse
pas le niveau moyen le plus courant »[2],
sans les lier socialement. Depuis quelques décennies les études concernant
l’architecture de l’habitat (ordinaire) urbain à l’époque moderne se
multiplient[3] ; notre recherche a
cherché à mieux connaître les fonctions et à dresser un panorama de
l’architecture des maisons à Paris au cours de la seconde phase de l’époque moderne,
c’est-à-dire de 1650 à 1790, période où une documentation assez homogène permet
une analyse fine de ses caractères et de son évolution[4].
Pour dégager des réponses significatives,
l’échantillon statistique à exploiter devait être fondé sur un corpus de
données régulières, représentatives et suffisamment nombreuses. Une archéologie
du bâti aurait sans doute fourni des éléments intéressants, mais l’enquête
n’aurait pu concerner qu’un tout petit nombre d’édifices, et rien ne
garantissait que ces témoignages représentent de façon homothétique le tissu ancien dans sa
diversité. Nous avons donc choisi d’entreprendre une archéologie de papier en
concentrant l’analyse sur des documents écrits et graphiques de nature assez
homogène. Les procès-verbaux dressés par les greffiers des bâtiments pendant
les visites des experts-jurés (sous-série Z1j des Archives nationales)
se prêtaient parfaitement à cette recherche. En concernant des maisons neuves,
mais aussi des maisons plus anciennes qu’on se contente de réparer, de se
partager, de vendre ou d’acheter, ces actes offrent une coupe sur tout le bâti
parisien. Les greffiers décrivent les maisons de « fond en comble »,
leur implantation, le nombre et l’agencement des corps de bâtiment, le nombre
d'étages, les ouvertures, les couvertures, l’écoulement des eaux et les
distributions (bâtiment par bâtiment, étage par étage). Les experts précisent
également parfois la fonction de la maison (demeure principale ou bien locatif,
boutique ou atelier), l’histoire du bâtiment (origine de la construction,
divisions, baux), ainsi que sa valeur. Ainsi nous avons engagé cette recherche
par un dépouillement systématique de cette série en retenant trois types de
visites suffisamment régulières dans les descriptions : celles réalisées lors
d’un partage, pendant la (re)construction d’un bâtiment ou à des fins
d’estimation d’un bâtiment avant une vente. Nous avons conduit l’analyse de
cette série en opérant un dépouillement des actes d’une année tous les dix ans
sur une période de cent-cinquante ans ; les descriptions de 635 maisons
forment la base de notre étude. Ce dépouillement a été complété par l’analyse
de documents du Minutier central des notaires parisiens, surtout des baux, des
ventes, des inventaires après décès ainsi que des devis et marchés. Les données
ont également été comparées avec divers recueils et traités d’architecture
contemporains. Dans cet article nous présenterons uniquement les conclusions
portant sur l’histoire (constructions) et les origines des maisons (achats, héritages),
ainsi que sur les différentes manières d’exploitation de ces biens. Des aspects
essentiels pour comprendre cette architecture, mais dont les connaissances sont
encore lacunaires. Une étude complète nécessiterait d’ailleurs un travail
parallèle sous l’angle socio-historique et économique du sujet, ce qui « permettrait
d’élargir et d’approfondir la connaissance des modes d’habiter ainsi que des
occupants, car la problématique d’ensemble se situe à la croisée de
nombreuses perspectives disciplinaires, trop souvent artificiellement érigées
en spécialités autonomes du simple fait des cloisonnements académiques.
Pourtant, la connaissance des formes, des pratiques et des modèles d’habitat
nourrit tout autant la pensée des socio-démographes et des historiens de la
société que celle des urbanistes, des économistes et de certains historiens
d’art »[5].
Différentes manières de devenir
propriétaire
A l’origine de chaque propriété,
il y a inévitablement un ou plusieurs achats, qu’il s’agisse d’une place
à construire ou d’un bâtiment. Les ventes sont réalisées de trois
manières différentes : soit entre particuliers, soit par spéculation dans un
lotissement neuf, soit par adjudication ou licitation d’un bien immobilier. Même
si les procès-verbaux de visite étudiés concernent surtout des édifices déjà
construits, nous avons recensé soixante-douze mentions d’achats entre
particuliers, dont quatre concernant des maisons en mauvais état pour
lesquelles le nouveau propriétaire envisage, dès la transaction, une reconstruction
à neuf pour la mise en valeur et la rentabilité du site[6].
Certains propriétaires ont auparavant
été locataires des lieux et des visites sont demandées dans la perspective de
compléter la possession partielle d’un bâtiment[7]. Un acte de vente illustre également le
processus inverse, où des propriétaires vendent leur maison et deviennent
locataires des lieux[8].
L’éventail social des
propriétaires est large. Si dans un tiers des cas seul le nom du propriétaire
est précisé et non l’origine sociale, le classement par fonction des deux tiers
restants donne des repères intéressants[9]. Les
commerçants-marchands et les maîtres-artisans, ainsi que leurs veuves, occupent
ensemble une place importante, 49 %[10] ;
quant aux nobles, magistrats ou conseillers du roi, ils sont représentés
par soixante-dix-neuf individus (dont seize veuves), soit un quart. Nous avons
en outre compté dix-sept personnes du bâtiment (architecte, entrepreneur,
maçon...), six employés d’administrations, ainsi que neuf communautés
religieuses. Seules cinquante-quatre personnes sont définies comme bourgeois ou
marchands bourgeois de Paris (l’appartenance à ce groupe n’est pas
systématiquement indiquée) et un quart des propriétaires sont des femmes[11]. Rappelons
enfin que l’essentiel de nos sources concerne des successions et que la plupart
des titres correspondent à l’aboutissement social d’une vie. Ainsi Claude
Betancourt est par exemple qualifié de « maître serrurier » en 1710 et 1714, trente ans plus tard il
est désigné comme « juré aulneur
de taille », en 1754 comme « officier de la reine » et enfin dans l’estimation de sa
succession, en 1760, il porte le titre « d’officier de la reine et maître bijoutier à
Paris[12] ».
À la mort des propriétaires, les maisons, en tant qu’élément
de patrimoine, sont transmises à leurs descendants. Lorsque les prétendants à
une succession sont peu nombreux le partage après le décès peut généralement se
faire sans litiges, dans d’autres cas cela donne lieu à des divisions et/ou des
fusions compliquées. Ainsi une visite précise que « la maison semble avoir
été construite en commun avec la voisine et depuis partagée »[13] ;
tandis qu’un autre acte laisse supposer qu’il y avait à l’origine deux maisons,
car il décrit un corps de logis exploité par un seul escalier mais avec une
différence entre le niveau des planchers et des combles[14]. Il
arrive d’ailleurs que les partages soient rendus irréalisables par la
complexité des ensembles ; la vente représente alors la seule solution
envisageable. Cette vente peut soit être interne, c’est-à-dire que un ou
plusieurs copropriétaires acquièrent un ou plusieurs lots
supplémentaires ; soit externe par la vente à une tierce personne de la
totalité du bâtiment ou, quelquefois, d’une partie du bâtiment. Dans les deux
cas, vente ou partage, la succession fait généralement appel à un expert-juré
qui dresse un procès-verbal. La lecture de ces actes est très intéressante, car
lors d’un litige entre deux experts-jurés (un pour chacune des parties en
conflit) chacun expose à son tour les avantages et les inconvénients des
différentes solutions proposées ; ils témoignent régulièrement d’une
attention particulière aux parties communes, telles les puits et les aisances,
qu’il faut souvent doubler ou rendre mitoyens. Ces partages et fusions constants dans la formation du parcellaire urbain
expliquent les formes parfois étranges de ces bâtiments. L’analyse
rapide de quelques partages permet de mieux illustrer différents aspects liés à
l’accession à la propriété par héritage, ainsi que diverses complications
qui peuvent en résulter.
Le cas du
serrurier Michel Sentier et de ses trois
enfants, copropriétaires d’une maison avec dépendances située dans la grande et
la petite rue de Reuilly au faubourg Saint-Antoine, est à ce sujet éloquent.
L’un des fils, domicilié dans la maison, demande une visite d’experts afin de
savoir si elle est partageable en deux lots, quelle serait la manière la plus
commode de réaliser ce partage et quelles servitudes impliquerait alors la
coutume. Dans un premier temps, deux experts visitent les lieux et en dressent
le plan, pour ensuite réfléchir sur les manières dont pourrait se faire le
partage. Deux mois et demi plus tard ils se retrouvent sur place, en
présence des parties concernées, et proposent une division en deux lots (A, un
corps de logis à l’angle des deux rues B, un
corps de logis sur la grande rue de Reuilly) avec un espace commun (C et D,
deux petits édifices derrière le deuxième corps de logis). Les experts-jurés
précisent que les deux parts sont égales en valeur[15] et,
pour prévenir d’éventuels conflits, ils fixent des règles organisant la mise en
place et le fonctionnement des parties communes de ces lieux. Il s’agit d’une
allée (au rez-de-chaussée entre les deux corps de logis), d’un escalier qui
distribue les étages des deux corps, ainsi que d’une petite cour derrière
l’allée. Un puits commun doit être construit (K), avec son ouverture du côté de
l’allée, « pour l’usage des
différents locataires des deux corps de logis ». La construction
d’un cabinet avec une fosse d’aisance au fond de la petite cour est également
imposée (L). Cela aux frais communs des deux parties, de même que la vidange de
la fosse, le curage du puits et l’entretien du pavé de la cour, du cabinet et
de l’allée. Enfin, pour obtenir deux lots indépendants les experts-jurés
prescrivent au futur propriétaire du lot B de boucher « une croisée sur le pignon » (qui
tire son jour sur l’ensemble A) et de refaire la toiture afin que les eaux ne
s’écoulent que sur son terrain.
Parfois le
partage est facilité par la configuration des lieux. C’est le cas pour la
succession de Jean Durand et Nicole Pauners qui comprend une maison rue de la
Croix à l’enseigne de « La boule
rouge »[16].
Leurs trois enfants demandent une visite d’experts pour savoir si elle est divisible
en trois lots. La description et le plan de la maison nous permettent de
comprendre qu’il y avait à l’origine deux, voire trois, maisons mitoyennes déjà
divisées en deux lots. La division en trois parties peut cette fois
être accomplie d’une manière logique et sans multiplication des espaces communs
car la composition originelle distingue déjà trois corps de bâtiments, plus ou
moins indépendants dans la parcelle. Ceux-ci ont été signalés sur le plan par
différentes couleurs et les experts-jurés prévoient d’en donner un exemplaire à
chacun des propriétaires pour « éviter
à l’advenir toute querelle »[17].
Le premier lot comprend le corps de logis sur la rue ainsi que le
rez-de-chaussée et le premier étage du bâtiment B. Le deuxième lot renferme
l’escalier et le second étage du bâtiment B, ainsi que les bâtiments C et D,
plus le jardin qui suit. Le troisième lot est composé du bâtiment E et du
second jardin. L’allée servant d’entrée, ainsi qu’une cour et un puits à la
suite de ce passage, sont communs ; cette allée s’ouvre et se ferme avec
une clef dont chaque propriétaire de lot aura un double (fait à ses frais). Un
cabinet avec siège d’aisance commun est prévu pour les deux premiers lots[18] et
une allée collective pour les deux derniers.
Les partages
peuvent toutefois s’avérer plus complexes, c’est le cas dans une maison rue des
Gravilliers à l’enseigne de « La
corne »[19]. Là,
deux frères, marchands bourgeois de Paris, ont recours aux experts-jurés du
Châtelet afin d’obtenir deux parts égales à partir de deux corps de logis de
tailles différentes. Ces derniers proposent un premier lot composé d’une partie
du grand corps de logis sur la rue et un second constitué de deux chambres et
un grenier pris sur ce même corps de logis, auxquels ils ajoutent les aisances
et le bâtiment dans la cour. Il est évident qu’avec un tel partage une vente
par lots séparés apparaît beaucoup plus délicate ou improbable. C’est encore le
cas d’une maison dans la rue Guérin Boisseau qui, selon les experts-jurés « ne peut être partagée »[20]. En
effet, la composition est à peu près semblable à celle évoquée ci-dessus (un
corps double sur la rue constitué d’un rez-de-chaussée, de quatre étages carrés
et d’une mansarde) mais il y a cette fois-ci cinq héritiers.
Nous disposons également d’exemples
décrivant des partages de propriété réussis malgré un nombre important
d’héritiers. La succession en 1739 d’une maison qui doit être répartie en six
parts, rue de Bellefond, en est une illustration. Sur cette parcelle
d’environ 95 m² les experts distinguent quatre maisons, dont trois qui portent
des enseignes différentes[21]. Il
s’agit d’un ensemble de bâtiments simples dont certains présentent des formes
rurales et d’autres sont à boutique. Les experts-jurés optent pour un découpage
en tranches presque rectilignes, étroites et profondes.
Bien entendu, il est fort probable
que la majorité des descendants souhaite entrer en possession d’un héritage
familial comprenant un bien immobilier, néanmoins il peut advenir quelquefois
que ce legs représente plus une contrainte qu’une opportunité : les cas de
renoncement par le ou les légataires à la succession, ou de délaissement des
biens existent aussi. Une visite pour résoudre des différends concernant une « mazure » provenant d’un héritage
illustre bien ce type de problème, provoqué en l’occurrence par la situation
sociale différente des héritiers : l’un marchand teinturier alors que l’autre
est qualifié de « marchand de vin
du Roi et chef de fruiterie de feu Mgr le Duc d’Orléans ». Ce
procès-verbal met également en évidence le rôle d’avocat que jouent parfois les
experts-jurés[22], en défendant chacun les
prétentions de leurs clients. Après avoir dressé un état des lieux et levé un
plan de la maison en question, les experts-jurés exposent, chacun à leur tour,
des opinions contradictoires sur les solutions envisageables. Pierre
Quiriot, architecte juré du Roi et expert bourgeois de Paris nommé par le
marchand de vin, explique que la maison étant en ruine il vaudrait mieux la reconstruire.
Il propose ainsi, tant du fait de la superficie qu’en égard au quartier qui ne peut « estre habittez que par des gens d’un
médiocre estat », de diviser le terrain en deux afin d’y construire
deux petits corps de logis jumelés (chacun des propriétaires devant financer
son lot). Louis Joubert, juré du Roi expert et entrepreneur de bâtiments à
Paris nommé par le marchand teinturier, n’est pas du même avis. Il juge, que
n’étant pas entièrement démolie, il serait possible de rétablir la maison sur
le même plan. En outre, selon lui, les dépenses nécessaires pour donner deux
parties égales sur une si petite surface
sont trop importantes (chaque lot aurait fait environ 43 m²). Ce dernier
explique également les inconvénients de la proposition de son confrère, en
soulignant la nécessité du doublement des lieux communs. Il conclut de ces
considérations qu’il n’est pas dans l’intérêt des deux parties de chercher à
partager un tel héritage pour lequel, autant du fait de sa situation que
de sa taille, l’on « ne
pourroit faire que deux très petites maisons incommodes qui ne pourront
héberger que de petits gens, n’y pourront retirer d’autre qu’un commerce
suspect, faute de pouvoir être louées à des gens convenables et de bonnes
mœurs »[23].
Puis il précise que celui qui rachèterait la part de l’autre pourrait
facilement l’utiliser : l’un pour son commerce de teinturier et l’autre
pour étendre sa maison voisine. Aucun des experts-jurés ne propose cependant la
vente à une tierce personne. Notons enfin que les propositions avancées par
Quiriot impliqueraient une réutilisation incompatible avec les règles
sanitaires édictées par la coutume, alors que son confrère semble avoir plus de
conscience professionnelle (peut-être parce que cela convenait à la volonté de
son client).
Faire bâtir une maison neuve, un
investissement périlleux[24] ?
... celui qui veut bâtir en achètera le plaisir bien cher. Les ouvriers
dévorent le citoyen qui veut être logé chez lui[25].
La première phase d’une
maison neuve, parfois la plus hasardeuse, est celle qui consiste à dresser le
devis des constructions accompagné des plans, élévations et coupes, pour
ensuite conclure un marché avec un ou plusieurs professionnels du bâtiment[26]. Une
affaire réussie nécessite dès ce stade des hommes de métier à la fois
compétents et fiables[27].
L’ampleur comme la forme de l’ensemble envisagé dépend évidemment du capital
dont dispose le commanditaire-bâtisseur. Le Camus de Mézières insiste sur « les précautions qu'on doit avoir avant de
bâtir et combien on doit être
circonspect à emprunter »[28] et
concernant des réparations cet auteur conseille de bien examiner ce genre d’opération
coûteuse avant d’entreprendre les travaux, afin de déterminer s’il ne vaut pas
mieux opter pour une reconstruction car, selon lui, « il arrive souvent qu’après avoir étayé on se trouve contraint
de démolir »[29].
Les marchés et les visites ne
restituent malheureusement pas la genèse des projets. Or il serait très
intéressant de connaître le détail des échanges entre les hommes de métier et
les commanditaires, afin d’apprécier le rôle des différents acteurs. Même si
Pierre Bullet et encore Nicolas Le Camus de Mézières conseillent aux
particuliers de se tourner vers un architecte plutôt que d’employer un
entrepreneur, il est rare que le premier soit chargé de la réalisation d’une
maison ordinaire. Dans le cadre de notre étude les dessins sont le plus souvent
réalisés par des maîtres maçons ou des charpentiers. Puisque dans de nombreux
cas le but n’est pas d’innover mais plutôt de copier des éléments et de les
intégrer dans une nouvelle construction en appliquant des pratiques permanentes
à moindres frais, les compétences pratiques prévalent sur les connaissances
théoriques. Pour notre période, il est d’ailleurs difficile d’interpréter le
titre d’entrepreneur en bâtiment ou d’architecte, une même personne peut être intitulée
différemment dans des actes contemporains[30] et
le titre d’architecte est souvent utilisé sans fondement[31]. A
côté des entrepreneurs, aucun de nos actes ne mentionne la présence d’un
ingénieur, or nous savons par d’autres travaux que les fonctions assumées par
ces derniers en province chevauchent régulièrement celles assurées par les architectes
et les entrepreneurs, l’absence de cette désignation dans nos sources laisse
penser que son rôle était moins important dans la capitale[32]. En revanche, plusieurs visites réclamées par
des propriétaires, n’ayant pour objet que la validation ou la correction de
plans et d’élévations préalablement réalisés par des auteurs anonymes (parfois
complétée par un devis), attestent encore du rôle des experts-jurés. C’est
ainsi que les propriétaires d’une ancienne maison présentent des plans à René
Bonaventure Chauneau, expert-juré des bâtiments, pour qu’il donne son avis sur
la distribution proposée (est-elle convenable pour le quartier ?)
et pour qu’il dresse un devis estimatif de la construction envisagée.
Et, en 1789, de la même manière le propriétaire Jean- François Quement, demande
conseil aux experts-jurés sur « les plans et élévations des constructions
qu’il se propose faire sur led. terrain de luy signé et paraphé »[33]. Les procès-verbaux précisent
systématiquement le métier des experts-jurés et Antoine Desgodets explique que
par jurés, experts ou « gens à ce
connoissans » on entend non seulement les jurés qui sont créés en
titres d’office, mais aussi des architectes, des bourgeois expérimentés, des
artisans ainsi que d’autres spécialistes en bâtiment[34].
Bien entendu, peuvent naître de ce cumul d’activités des conflits entre
l’intérêt public que représente l’expert et l’intérêt privé que ce dernier a
dans la construction. C’est donc pour éviter ce type de situation que, comme
nous le précise Delamare, ceux qui ont titre d’office ont officiellement
renoncé à conduire des chantiers directement ou par personnes interposées,
ainsi qu’à s’associer avec des entrepreneurs « à peine de privations de leurs charges »[35].
À la fin du XVIIIe
siècle Mercier explique toutefois que « la dangereuse vénalité des charges a fait créer ces offices qui
ne manquent pas d’être achetés par des maçons » et que les experts-jurés sont quelquefois « les véritables entrepreneurs secrets »[36].
Certes, les modèles imprimés et des prototypes de devis
proposant des maisons types influencent la rédaction de ces actes[37],
mais chaque devis devant intégrer des paramètres de construction tels que la
forme et la taille de la parcelle, les souhaits et moyens financiers du
commanditaire, il prend néanmoins un caractère particulier. Ce qu’illustrent
deux devis et marchés concernant des maisons neuves et voisines rue de Lappe en
1724, signés chez le même notaire mais par des entrepreneurs différents. Ces
documents font état de bâtiments quasi identiques et mentionnent l’existence de
deux autres maisons, dans la même rue et contiguës à celles projetées, dont
l’une sert de modèle pour les rampes des escaliers, les croisées et les portes
des allées sur les cours. Les renseignements concernant le mode de paiement
sont épars. Pour l’une des maisons dans la rue de Lappe le coût de la
construction (16 500 livres) est fractionné en sept échéances échelonnées sur
le temps de la construction, alors que l’autre commanditaire et son
entrepreneur optent pour un règlement en deux fois, dont le premier terme, qui
représente 71 % du prix global (9 000 livres sur 12 800), doit être payé avant
le commencement des travaux et le second deux ans plus tard[38]. Un
autre devis et marchés témoigne d’un procédé plus aventureux, car le
propriétaire doit fournir un acompte d’une valeur de la moitié du montant des
fournitures, d’après le prix qui sera déclaré sur les
ordres et mandats du Sr. Doussin architecte auquel il
se rapporte autant pour la conduite des
ouvrages que pour leur toisé et réception ; il
s’agit ici de conditions qui supposent une confiance totale de la part du
commanditaire envers le concepteur[39].
Plusieurs traités d’architecture ont été composés dans le but
de mieux armer les commanditaires particuliers non initié pour faire face aux
fraudes des professionnels, voire à leur incompétence. Pierre Le Muet propose
des « modèles opératoires qui
doivent permettre au bourgeois d’échapper aux tromperies des entrepreneurs sans
avoir besoin de l’architecte »[40].
De même l’ensemble des livres d’architecture, autant du XVIIe que du
XVIIIe siècles, sont des manuels permettant, comme le souligne l’auteur
du texte initial de l’Architecture
Moderne, d’acquérir « une
connaissance exacte de tout ce qui regarde la construction des édifices [...] pour qu’on soit au fait de tout ce qu’il
faut sçavoir, avant de commencer à faire travailler[41] ».
Ainsi Le Camus de Mézières recommande, pour la conduite et la mise en place
d’un chantier, « le choix d’un
homme de métier qui, outre la maîtrise du dessin, ait de la pratique et de
l’expérience», et il conseille de choisir un entrepreneur « opulent qui a des grandes ressources, pour éviter des problèmes en
fournissement des matériaux, [et] paiement d’ouvriers »[42].
Quant à Monroy, il souligne l’importance de bien préciser dans le devis et
marché la qualité, la provenance ainsi que la quantité des matériaux à
employer, mais aussi de stipuler que tout ce qui excédera sera à la charge de
l’entrepreneur. Il préconise encore, surtout lors des réfections, de vérifier
l’emploi et la qualité des matériaux dans les constructions effectives : «
que les plâtres neufs le sont
réellement et non seulement blanchis et puis comptés pour neufs »[43]. Selon
Mercier « L’architecte, l’ouvrier
en bâtiment ne ruinent ordinairement chaque année qu’un citoyen, qu’un père de
famille, ne voilà qu’une voix qui s’élève ; et la bâtisse vaut plus que
dix procès»[44]. Son discours s’inspire d’une
réalité effective ; ainsi après avoir passé un marché pour la restauration
d’une maison en ruine qu’il vient d’acheter pour un usage locatif, Jean Henri
Danès constate que les ouvriers ont
effectué des « travaux de démolition
plutôt que de construction ». Il est alors contraint de
faire appel à des experts-jurés qui
dressent un nouveau devis des réparations à effectuer, dont certaines procèdent
des travaux du chantier en cours. Sans connaître le montant de chacun
des marchés, nous pouvons supposer que cette péripétie a dû considérablement
gonfler la facture de la réhabilitation, de ce fait l’investissement initial
devient plus long à rentabiliser voire impossible à amortir. Il semble
toutefois qu’une garantie ait existé puisqu’un article des Us et Coutumes de la ville de Paris affirme que les maîtres maçons et autres artisans « sont
garans des incendies [et malfaçons] qui arrivent par la mauvaise construction de
leurs ouvrages, pendant les dix premières années après la construction »[45].
Pratiques d’exploitation
La spéculation proprement dite
n’est pas illustrée par notre étude, car les états des lieux recensés sont essentiellement
réalisés à la suite de décès et inventorient ainsi des biens immobiliers qui
sont le résultat patrimonial d’une vie (alors que les spéculations sont
caractérisées par des ventes et des achats rapides). Un grand nombre de nos propriétaires
mettent leur bien en location et d’autres y habitent eux-mêmes, parfois ils
financent leur logement par des espaces locatifs collatéraux. Dans ces deux cas
de figures il s’agit d’un investissement sur une ou plusieurs générations,
parfois dans plusieurs maisons ; il n’y a pas au départ une volonté de
spéculer, mais bien de constituer un capital familial sous la forme d’un
accroissement local (reconstruisant, comblant ou achetant des espaces encore
libres à proximité immédiate au sein d’une structure urbaine quasi stable) ou
parfois d’assise géographique plus large.
La succession de Claude Le
Feugeuleux en 1690 présente trois modes d’utilisation différents d’un même
parc immobilier : la cohabitation propriétaire-locataire, la location
principale et la location par appartement directement du propriétaire au
locataire. Au moment de son décès la défunte est propriétaire de
trois maisons à Paris. Dans la plus belle maison, sise rue Barre-du-Bec, habitent
son mari et leurs deux fils ainsi que deux locataires qui payent l’un 575 livres
et l’autre 500 livres par an[46]. Une
deuxième maison, sise à l’angle des rues Neuve Saint-Médéric et du Renard (composée
d’une boutique, d’une cuisine et d’une salle au rez-de-chaussée, ainsi que de
quatre étages de trois pièces chacun), est louée à un marchand tapissier et à d’autres,
« à la réserve de trois chambres
qui sont à présent inoccupées » ; cette mention laisse
supposer que la location se fait sans locataire principal. La dernière maison à
l’angle des rues Saint-Honoré et du Coq (comprenant une étude et cabinet au
rez-de-chaussée ainsi que cinq petits deux-pièces, un par étage) est louée à un
notaire pour 1 000 livres par an. Ainsi les propriétaires
touchaient un revenu annuel de plus de 2 000 livres.
De même l’inventaire après décès
du sculpteur Pierre Mazeline fournit des informations précieuses concernant
l’usage des maisons dont il était propriétaire. En effet, sa succession comporte deux
maisons voisines entre les rues de Bourbon et Sainte-Foy, près de la porte
Saint-Denis, et une maison à la Villeneuve-sur-Gravois « près la ville Neuve en la rue de Bourbon vulgairement appelée la
rue Saint-Guillaume[47]». Le sculpteur et sa femme sont
domiciliés dans l’une des maisons à Paris. L’inventaire après décès présente
les pièces occupées par le couple (au rez-de-chaussée une cuisine, une soupente
au-dessus de la cuisine et trois salles, au premier étage, trois chambres et un
atelier, ainsi qu’une cave) et les dettes recensées font état de neuf personnes
redevables de loyers (dont les modalités de paiement varient selon les
locataires), soit un revenu annuel supérieur à 448 livres[48]. D’une
manière semblable l’architecte Louis Le Vau aménage dans sa maison deux espaces
d’habitation indépendants, dont la plus grande portion (le rez-de-chaussée,
avec cour et écurie, l’entresol et le premier étage) est destinée à la location
alors que seuls les étages supérieurs sont dévolus au logement de sa famille[49].
Plusieurs actes de notre étude
mentionnent également des veuves mettant en location une bonne partie de leurs
biens immobiliers[50].
Ainsi Marie Bourcier, veuve d’un marchand boucher, propriétaire de trois
maisons acquises lors de leur communauté, n’occupe au moment de sa mort «[qu’] une chambre au premier étage avec vue sur la
rue » dans l’une de ses maisons dont une grande partie de celle-ci
est louée à l’un de ses fils[51]. De
la même façon Henriette Hugon, veuve d’un bourgeois de Paris[52],
habite le deuxième étage d’une maison appartenant à sa famille depuis au moins
soixante-cinq ans[53].
Outre son appartement au deuxième étage (une cuisine, un passage, une
salle à manger, un petit cabinet, une chambre, une salle et un autre cabinet)
et une cave, la veuve dispose de trois boutiques avec entresol plus des
appartements aux premier et troisième étages.
Même si l’estimation de sa succession ne mentionne qu’un seul locataire[54]
et si son inventaire après décès signale seulement deux baux[55],
elle peut réunir sous son toit trois commerçants au rez-de-chaussée et aux
moins trois foyers dans les étages carrés. Notons enfin que ni cette veuve, ni
Louis Le Vau, n’occupe le premier étage de sa maison, étage dit
« noble ». L’idée répandue du propriétaire habitant le premier étage
de sa maison n’est pas confirmée par nos sources (la mise en location de ce
niveau était rentable), car les traces partielles concernant les occupants des
lieux reflètent une réalité bien plus complexe et variée.
D’autres documents
suggèrent un usage par des membres de la parentèle, souvent des enfants. C’est
ainsi que Barbe Leconte possédant trois maisons dans la rue de Grenelle, habite
la plus grande d’entre elles alors que les deux autres sont occupées par ses
fils[56].
D’autres propriétaires
préfèrent être locataires et bailler leur bien. Ainsi un maître vitrier se
constitue un petit parc immobilier par achats successifs mais loge dans un
appartement qu’il loue, et aucun membre
de sa famille (mentionné dans les documents) n’est domicilié dans ses maisons[57]. De la même façon Jean-François Bentabolle, maître
mercier bourgeois de Paris, propriétaire de deux maisons, d’un appartement sur
la rive droite et d’une maison à Étampes[58], est
locataire d’une chambre garnie à sa mort[59]. Et
Mathieu Blotin[60], propriétaire d’une
maison, est au moment de son décès domicilié dans une chambre dépendant d'une
autre maison (alors que sa maison est occupée par au moins quatre locataires
différents, qui lui doivent des soldes de loyers) [61].
L’exemple de Jérôme Delutel
permet de comprendre l’intérêt que peut avoir un propriétaire à habiter en
location. Possédant quatre maisons à Paris, composées de petites cellules
d’habitation et d’espaces commerciaux ou artisanaux, Delutel occupe un bel
appartement, plus conforme à son statut social de peintre à la Cour, dans une
maison située rue Guénégaud[62]. Il
gère la location de ses maisons lui-même, car l’inventaire après décès mentionne
« quatre mémoires écrits de la
main de feu Sr. Delutel
contenant le montant des loyers tant des trois maisons que de celle rue de la
Sourdière ».
Des locataires principaux
et des sous-locataires
« On n’entend que plaintes réciproques
entre le principal locataire et les sous-locataires. C’est une sous-division
qu’il est difficile quelquefois de débrouiller en justice. Le
même palier a jusqu’à quatre locataires différents, qui tiennent des baux les
uns des autres »[63].
Les renseignements portant sur les locataires sont assez
épars et éclectiques : le nom, la fonction, le métier du locataire
principal ou des personnes logées dans les maisons sont ou non donnés,
conjointement ou séparément. Les actes comportent parfois d’autres indications,
implicites, par exemple lorsque les experts-jurés précisent qu’une porte est
fermée à clef car le « locataire
est sorti », ou que des éléments (cloisons, chambranles…)
appartiennent à un locataire.
Dans ces derniers cas il est rare que le nom ou l’état soit signalé. Si seul
environ un tiers des descriptions attestent un ou plusieurs locataires, autant
les types de bâtiments que les modes de propriété tendent à indiquer que
l’utilisation principale en était la location. Les baux portent sur des
maisons, des parties de maisons ou des chambres, et les contrats particuliers sont
signés pour des durées de trois, six ou neuf ans, voire moins (six mois), ou
dans certains cas pour trois, six ou neuf années « au choix respectif des parties en s'avertissant six mois auparavant »[64].
Les baux suggèrent parfois une
certaine méfiance de la part des propriétaires : l’interdiction de
pratiquer la sous-location ainsi que d’y exercer tout métier lié au vin[65],
ou que les preneurs « ne
peuvent [ni] céder ni transporter leur droit du présent bail à personne »
ainsi que l’interdiction de « loger
dans lad. maison aucune blanchisseuse » [66].
Un acte énonce en outre que « les preneurs ont leur domicile et leur demeure auquel lieu »[67]
et un autre bail précise que les locataires ne peuvent ni transmettre leur
droit de ce bail sans le consentement du bailleur, ni sous-louer tout ou partie
de la maison à aucuns marchands serruriers « tailladers » ni gens de marteaux[68]. Dans
certains cas le preneur pouvait toutefois céder ses droits à une tierce
personne par un acte de cession ou transport de bail, sans que le consentement
du propriétaire soit nécessaire. Ferrière explique que « la raison
est que le preneur en faisant le transport de son bail, demeure toujours garant
et responsable des loyers, et de tout le dommage que puisse causer celui à qui
le transport est fait »[69]. Ainsi une estimation de succession
de 1689 révèle qu’une maison dans la rue de l'Arbre-Sec « était occupée il y a quatre ou cinq ans par
un charretier nommé Cerceau qui est allé demeurer plus haut dans la même rue,
mais qui tient encore la maison dont le bail n'échouera qu'au jour de St-Remy
1693»[70]. Ce dernier avait alors sous-loué la maison en
question à un cabaretier. D’autres actes nous présentent des nouveaux
locataires investissant les lieux avant la fin du bail précédent, notamment à
la suite d’un décès. C’est ainsi que le bail d’un appartement pour six années précise
que les locataires y demeurent « depuis
St-Jean dernier au lieu et place de Sr. Vatinelle qui en jouissait en vertu du
bail qui lui en avait été fait par les propriétaires de la maison expirant dud.
jour St-Remy prochain et dont le droit a été cédé au Sr. et dlle Huart pour le
terme courant par Sr. François Bernard, héritier et représentant le Sr.
Vatinelle son oncle à la charge
de payer le loyer du terme et faire faire toutes les réparations locatives »[71].
Plusieurs visites concernent des litiges entre des locataires
et des propriétaires pour des réparations et l’entretien des bâtiments, le plus
souvent ce sont les premiers qui réclament que le propriétaire (re)mette en
état des constructions, parfois laissées dans un état de délabrement total. Si
les locaux étaient devenus inhabitables et en dépit de mises en demeure
signifiées au propriétaire de faire effectuer des réparations le locataire
avait le droit de faire dénoncer son bail. C'était néanmoins en faveur du
propriétaire qu'existaient les plus nombreuses possibilités de résiliation de
bail. Ainsi en cas de vente par le propriétaire d'un bien déjà baillé à louage,
le locataire pouvait être expulsé par tout nouvel acquéreur, même si ce dernier
n'allait pas occuper les locaux[72]. Plusieurs actes de ventes précisent
toutefois que l’acquéreur était tenu d’entretenir le bail en cours ou
d’indemniser les locataires en cas de résiliation et quelques mentions dans nos
sources révèlent un certain respect des propriétaires envers leurs locataires
ainsi que la prise en considération de circonstances particulières. De la sorte
Marc Morillon lègue dans son testament à « mlle La Violette, ma locataire dans une maison sise au Gros Caillou,
six mois de loyer de son logement[73] ».
Et Claude Bétancourt permet à la veuve d’un de ses locataires principaux, à la
suite du décès de son mari, de résilier son bail en cours sans perdre sa
caution ; et son nouveau locataire était contraint, par le nouveau bail,
de réserver deux pièces de la maison pour la veuve et son fils[74]. Cette attention peut être expliquée par la
prorogation des baux entre les mêmes personnes, qui de cette manière se
connaissaient depuis des décennies. Ainsi, Marie La Croix, que secourut Claude Bétancourt,
avait été locataire principale de la maison avec son mari pendant plus de vingt
ans[75]. D’ailleurs, exerçant souvent
une profession commerciale ou artisanale, les locataires principaux étaient
en général sédentaires et ils investissaient parfois dans l’aménagement des
locaux (tant professionnels que locatifs). Ainsi les visites mentionnent
fréquemment des soupentes, des cloisons, des fours, des forges etc., installés
dans les bâtiments à estimer mais qui appartiennent aux locataires. Dans
quelques cas nous avons même des exemples de propriétaires modifiant les lieux
à la demande du futur locataire. Le premier bail de l’une des maisons neuves
rue de Lappe précise que « s'oblige led. Sr. Rondelle [propriétaire] de faire faire à ses frais dans celle desd.
boutiques qu'occupera led.
Querelle [locataire] une
cheminée et ce dès que led.
Querelle l'en réquerera »[76].
C’est-à-dire que lorsque la maison vient juste d’être achevée, le futur
locataire demande un rajout dans la disposition, aux frais du propriétaire.
Pour d’autres ajouts le propriétaire demande la participation du locataire :
ainsi le propriétaire de la seconde maison rue de Lappe autorise la
construction d’un escalier particulier « aux frais communs dud.
Sr. Regnault [propriétaire] et du Sr. preneur […] Lequel escalier restera à lad. maison et appartiendra en
entier au Sr. Regnault, sans
aucune diminution du loyer »[77].
Même si la pratique de la
sous-location principale est répandue, la carence des sources (les sous-baux
souvent passés sous seing privé) ne permet pas de la connaître avec précision.
Olivier Zeller définit trois objectifs de cette micro-spéculation : le
locataire principal peut soit vouloir s’assurer une stabilité de logement en
dépendant uniquement du propriétaire de l’immeuble (seule une vente ou un refus
de renouvellement de bail peut l’obliger à déménager), soit chercher à réduire
ses dépenses de logement (voire les financer entièrement) par les loyers des
autres occupants, ou bien, dans les cas les plus ambitieux, il essaie d’obtenir
un bénéfice. Daniel Roche souligne également la place des locataires
aubergistes et hôteliers à Paris au XVIIIe siècle[78], et
donc le désir de rentabiliser l’habitat. Il précise en outre que Furetière et
Trévoux étendent l'activité des hôtes à l'hébergement « de tous ceux qui n'ont pas de ménage
établi », et ne distinguent pas l'hôtel du logement garni. Comme
les hôteliers, les aubergistes ou les logeurs ne formaient pas un corps de
métier, ils pouvaient s’établir librement ce qui permettait aux personnes
cumulant plusieurs métiers[79] de
rentabiliser leur logement personnel et représentait une possibilité de
ressources pour les veuves et les gens des milieux populaires.
Durant le bail, le rôle du
propriétaire, en ce qui concerne l’entretien des lieux, se réduit pratiquement
à la maîtrise des réparations essentielles. Le locataire principal remplit
ainsi parfois la fonction des futurs concierges, ces derniers n’étant attestés
qu’à la fin du XVIIIe siècle[80].
La différence réside en ce que les concierges sont salariés pour entretenir et
surveiller les lieux, alors que le locataire principal s’engage d’une manière
plus personnelle : il y va de sa responsabilité et de son intérêt. Le
preneur du bail a ainsi des pouvoirs forts étendus : il dirige les réparations
locatives et les agencements de détail, il définit à sa guise les unités
locatives ainsi que le prix, la durée et le renouvellement des baux, le droit d'usage
de la buanderie commune, etc. Mais il a aussi des devoirs plus contraignants et
parfois délicats. Il est responsable de l’entretien et de l’intégrité des lieux : il
doit gérer le partage et l’entretien des lieux communs, c’est-à-dire la
propreté des aisances et leur fonctionnement, le puits, l’escalier et la cour[81]. En
outre il doit se faire payer les loyers ; car si des sous-locataires
quittent un logement sans payer les loyers ou faire les réparations
nécessaires, cela incombe au locataire principal. Il est également responsable
des habitants auprès de la police des mœurs, notamment en ce qui concerne la
prostitution[82] ; mais aussi pour
l’observation des règlements de voirie : le respect de la défense de jeter
des ordures par les fenêtres[83],
l’obligation de balayer et arroser devant une boutique, etc.
Nous disposons de quelques rares
documents qui nous permettent de mieux comprendre les conséquences d’un
sous-bail et les obligations du sous bailleur, notamment concernant une maison
sise rue des Petits-Champs. Quatre mois après avoir signé un bail de location
principale de cette maison (pour un loyer annuel de 1 400 livres)[84],
Claude Blost, maître rôtisseur, et sa femme donnent « à location en titre de sous location
pour neuf ans » à Jean Nicolas Dillard, marchand de vin, une
boutique, arrière boutique, une cave en-dessous et deux chambres à cheminée au
premier étage sur le devant de la maison ainsi que la communication de l’allée
à la cour, au puits et aux aisances pour un loyer annuel de 515 livres[85]. La
même année Blost (le nouveau locataire principal) résilie le bail passé
jusqu’en octobre de cette année entre l’ancien locataire principal avec un
marchand fruitier pour une boutique, la cave en-dessous et une chambre au
quatrième étage[86] ; il est possible
qu’il ait voulu récupérer les lieux pour y installer son commerce de rôtisseur
et traiteur. Ainsi le sous-locataire devait quitter la chambre pour le 8
juillet et la boutique pour le 26 août (1758), laisser l’ensemble en bon état
et avoir effectué toutes les réparations locatives. La succession de Claude
Gauvert, maître peintre à Paris, et de son épouse Marguerite Benoist[87], nous
permet aussi, d’appréhender la sous-location de manière plus claire[88]. Le
couple loue par un bail sous seing privé une maison dans la rue Montorgueil (propriété
du beau-frère en premières noces de M. Benoist), le couple y occupe deux
chambres au troisième étage (dont l’une sert de cuisine) et les dettes
inventoriées mentionnent neuf sous-locataires[89].
Enfin, plusieurs mentions laissent
supposer que les loyers abusifs n’étaient pas rares dans Paris sous l’Ancien
Régime. Le cas de Madeleine Gallois et Christophe Millet, marchand tapissier,
est probablement représentatif d’une situation plus répandu. En 1719 ils
demandent une visite pour déterminer le loyer approprié d’une portion de maison
qu’ils louent depuis six mois dans la rue Pagevin[90]. Ils
y occupent au rez-de-chaussée une boutique, un réduit, une petite salle à
cheminée (équipée d’un potager et d’une soupente) avec un bouge et, au premier
étage, une grande chambre vers la rue et l’accès à une petite cour leur est accordé,
celle-ci contenant une pierre à laver et un auvent. Conformément au bail, ils
doivent payer un loyer annuel de 900 livres, alors que les experts-jurés ne
l’estiment qu’à 200 ou 250 livres pour les pièces du rez-de-chaussée et à 90
livres pour la chambre. C’est-à-dire un loyer annuel de 290 ou 340 livres, donc
une surévaluation de la part du propriétaire de 560 à 610 livres par an.
Depuis le
commencement de nos recherches, les études et recherches réalisées à partir de
la sous-série Z1j des Archives nationales se sont multipliées
(histoire de l’art, histoire et droit). Ces actes, nous l’avons vu, comportent
des descriptions détaillées et sont régulièrement accompagnés de dessins. Même
si les expertises du XVIIe siècle sont moins détaillées et plus difficiles
à lire que celles du XVIIIe siècle, une étude systématique de celles-ci s’est
avérée fructueuse et a permis de mieux cerner les caractéristiques des maisons
ordinaires à cette époque. Ces document reflètent comment, au cours des
décennies, le bâti éclate, fusionne et se modifie (partiellement ou
entièrement) au gré des reconstructions sur des schémas quasi-constants. En
outre ils relatent des distributions mobiles qui sont adaptées aux besoins des
occupants et changent selon les métiers et les modes d’exploitations. Si dans
les trois quarts des cas les maisons ordinaires combinent un secteur d'activité
économique, avec une ou plusieurs cellules d’habitation, parmi les 358
propriétés recensées seuls vingt-sept propriétaires (soit 7,5 %) y sont domiciliés.
En outre, nous avons aussi bien relevé des cas de cohabitation entre
propriétaires et locataires, que de mise en location directe d’appartements par
un propriétaire absent ou de locations principales; toutes ces formes indiquent
la multiplication des foyers (parfois d’origines sociales différentes) sous un
même toit, ou dans une même parcelle. La compréhension des configurations des
maisons ordinaires requiert ainsi d’appréhender comment et par qui ces
constructions sont occupées et utilisées au quotidien.
Nous pouvons également discerner une évolution divergente
entre les constructions neuves sur des parcelles quasiment vierges dans les
faubourgs et celles qui suivent un parcellaire très dense dans le centre
ville. Dans ces derniers cas, il semble que les reconstructions, souvent
effectuées à la dernière minute pour éviter l’effondrement d’une masure, aient
été plus courantes que les projets neufs. Le caractère éphémère des maisons
ordinaires, des constructions souvent médiocres et mal entretenues, est
d’ailleurs confirmé par notre étude. Les spécimens encore en élévation
dans la capitale font donc partie d’une gamme supérieure, d’où l’intérêt des
recherches concentrées sur les documents d’archives. Les procès-verbaux
témoignent en outre du rôle des experts-jurés
et de la manière dont ces
partages pouvaient contribuer à un certain contrôle du respect des coutumes, à
l’application des nouvelles réglementations liées à l’embellissement de la
ville et donc à la formation urbaine. Comme l’écrit N. Lemas il s’agit
« [d’]un embellissement au coup par coup, suivant les
opérations, par fragments, et portant la plupart du temps sur de petits objets
urbains, parfois même très modestes [...] c’est dans la multiplication des
actes, rectifiés, perfectionnés, que s’élabore concrètement l’embellissement
urbain, et non selon de grands projets parfois utopiques »[91]. La
lecture laborieuse des expertises, jusque-là peu exploitées, nous a ainsi
permis de restituer les grandes lignes d’un type de bâti, aujourd’hui disparu,
qui dominait le tissu urbain de la capitale sous l’Ancien Régime.
[1] Savot Louis, Architecture françoise, 1624.
[2] Définition Le Petit Robert, 1973.
[3] Par exemple Carbonnier Youri, Le
bâti et l’habitat dans le centre de Paris à la fin de l’Ancien Régime,
thèse sous la direction J.P. Poussou, université Paris IV - Sorbonne, soutenue
en 2001, 3 tomes, partiellement publiée dans Maisons parisiennes des
Lumières, Paris, PUPS, 2006, 511 p. Cabestan Jean-François, L'architecture domestique à Paris au XVIIIe
siècle, distribution et innovation, thèse de doctorat Université Paris I Panthéon-Sorbonne
sous la direction de Daniel Rabreau, soutenue en 1998, 3 tomes ; publiée
sous le titre La conquête du plain-pied. L’immeuble à Paris au XVIIIe
siècle, Paris, Picard, 2004, 311 p.
[4] Rollenhagen Tilly Linnéa, Maisons ordinaires à Paris, 1650-1790,
thèse en histoire de l’art sous la direction de Claude Mignot, université Paris
IV - Sorbonne, soutenue en 2006, 3 tomes. Ce travail n’aurait pu être réalisé
sans l’aide et le soutien de mon conjoint Stéphane Sardou. Je tiens également à
remercier Joëlle Barreau, Yoann Brault, Mme Yvonne-Hélène Le Maresquier et M.
Claude Mignot pour leurs relectures et réflexions pertinentes, ainsi que Mme
Françoise Boudon (qui ma prêté des
notes, photocopies et photographies du dépouillement réalisé dans le cadre de
l’ouvrage sur les Halles) et le personnel des Archives nationales.
[5] Zeller Olivier,
« Introductions. Histoire de l’habitat et histoire urbaine » dans Cahiers
d’histoire, n° 4.
Dans notre thèse nous étudions aussi la typologie, les
matériaux et les distributions de ces bâtiments ; Rollenhagen Tilly Linnéa
« Parisian Common Houses, 1650-1790. Typology
and Functions According to Written and Illustrated Archival Sources »,
dans 1st International Meeting EAHN,
Guimaraes, Portugal, 2010.
[6] Par exemple une visite concernant
la reconstruction d’une maison achetée par Jean Julien, marchand grainier, et
sa femme Marie Jeanne Houssel à Jean Sellier (marchand grainier), avait
confirmé qu’elle était en péril éminent. Une autre expertise conclut
qu’il serait mieux de reconstruire la maison à neuf plutôt que de la réparer (Arch. nat., Z1j 691, 5
novembre 1739) et une troisième visite constate l’état d’une maison et étudie
les nouvelles constructions que le propriétaire entendait faire (Arch. nat., Z1j
937, 26 avril 1770).
[7] Ainsi Gilles Roussin, marchand
verrier et faïencier, et sa femme Elisabeth Pronatelle, achètent les trois
quarts d’une maison appelée « Le
fief du soleil », rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie, où ils sont
déjà domiciliés. Deux des ventes sont faites par les héritiers de la succession
de Jacques Malaquin, bourgeois de Paris ; la première de la moitié de la maison
(pour 3 500 livres) et la seconde d’un quart de la maison (pour 1 750 livres). En
1759 la totalité de la maison appartient au couple, elle est alors estimée à 8
000 livres et un marchand de vin est locataire principal des lieux (Arch. nat.,
Min. centr., LXXXV, 293, 22 mars 1703, LXXXV, 297, 15 avril 1704 et Arch. nat.,
Z1j 854, 10 juillet 1759). Un
couple loue une maison dans la rue Saint-Louis, près du Palais, avant de
l’acheter pour 22 000 livres. En 1735 ils achètent la maison voisine pour 21
000 livres. Ils utilisent la première maison comme domicile pendant que l’autre
est louée pour 1 000 livres par an (Arch. nat., Min. centr., LI, 897, 10
décembre 1735). Les propriétaires de la moitié d’une autre maison rue
Saint-Honoré demandent une estimation pour acquérir l’autre moitié (Arch. nat.,
Z1j 447, 31 août 1699).
[8] Arch. nat., Min. centr., CVI, 227,
19 novembre 1729. Il s’agit d’une maison au Gros Caillou vendue par Antoine
Foyer, maître blanchisseur, son épouse et leurs enfants majeurs à Marcelin
Breauvoyne et son épouse pour 10 000 livres. Le même jour les deux parties
signent également un bail par lequel les vendeurs louent (pour sept ans et six
semaines) la maison pour un loyer annuel de 500 livres (Arch. nat., Min. centr.,
CVI, 243, 19 novembre 1729).
[9] Nos sources nomment 443
propriétaires différents[9],
correspondant à 358 propriétés (détenues par une ou plusieurs personnes)
constituées des 635 maisons répertoriées par notre étude. Parmi les maisons du
dépouillement initial, 57 sont des copropriétés et parmi les propriétaires
recensés 107 sont copropriétaires d’une ou plusieurs maisons. Une personne peut
néanmoins être à la fois propriétaire unique d’une maison et copropriétaire
d’une autre. Les sources recensent aussi bien des copropriétés entre les
membres d’une même famille qu’entre des personnes sans liens familiaux. Deux
tiers des propriétés recensées comprennent une maison (c'est-à-dire une
parcelle construite), 14 % deux ensembles construits, 10 % trois maisons, 4 % quatre
maisons et 5% cinq maisons ou plus.
[10] Sur les 14 % de propriétaires de
l’étude d’Annick Pardailhé-Galabrun, 60 % sont marchands, bourgeois de Paris et
maîtres de métier (La naissance de
l’intime, 3000 foyers parisiens XVII-XVIIIe siècles, Paris,
1988).
[11] Sur cent-deux propriétaires
femmes, quatre-vingt sont des veuves, treize sont désignées en tant que
femme ou épouse de ..., huit disposent d’un patrimoine séparé des biens de leur
mari et une est qualifiée de fille majeure. Ni les immeubles que l'un des époux
a acquis avant le mariage, ni ceux obtenus par une succession directe ne
tombent dans la communauté du couple, sauf si le contrat de mariage stipule le
contraire et la coutume de Paris permet aux femmes d’hériter à parts égales
avec les hommes (Ferrière, Nouveau commentaire sur la coutume de la prévôté
et vicomté de Paris, Paris, 1741, tome II, art. CCXX).
[12] Arch. nat., Min. centr., XIII,
164, 29 juin 1710 ; XIII, 180, 14 juin 1714 ; XXXV, 543, 22 novembre 1721 ;
LIX, 250, 20 juin 1753 ; Arch. nat., Z1j 857, 28 janvier
1760. Les
mentions varient parfois d’un notaire, ou d’un acte à un autre.
[13] Arch. nat., Z1j 497, 12 mars 1710.
[14] Arch. nat., Z1j 1061, 5
juin 1780.
[15] Car si la partie A n’a que 14
pieds de face sur la grande rue de Reuilly et comprend 4 toises de superficie
de bâtiment de moins que la partie B (le corps de logis n’a qu’une chambre par
étage au lieu de deux), elle a 12,5 toises 8 pieds de plus que la partie B en emplacement
de terrain comprenant une petite écurie et un puits (Arch. nat., Z1j
609, 29 octobre 1729).
[16] Arch. nat., Z1j 398, 3
février 1690.
[17]
Arch. nat., Z1j
398, 3 février 1690.
[18] Les frais de vidange de la fosse
seront assumés pour un tiers par le premier lot, dans la mesure où la vidange
sera faite dans sa partie, et pour deux tiers par le deuxième lot.
[19] Arch. nat., Z1j 268, 7
septembre 1649.
[20] Arch. nat., Z1j 606, 27
juillet 1729.
[21] Arch. nat., Z1j 690, 3
octobre 1739.
[22] Nicolas Lemas précise d’ailleurs
que plusieurs experts-bourgeois sont également avocats (« Les hommes de
plâtre. Contribution à l’étude des experts-jurés parisiens sur le fait des
bâtiments au XVIIIe siècle » dans Mémoires de la Fédération
Historique Paris Ile de France, tome 54, 2003, p. 125).
[23]
Arch. nat., Z1j
606 (27 juillet 1729).
[24] Les informations se rapportent
autant à des constructions neuves qu’à des réparations ou à des
reconstructions. Sept estimations indiquent clairement qu’il s’agit de
bâtiments reconstruits ou à reconstruire, cinq précisent qu’une maison doit
être démolie, et vingt-six visites concernent des maisons vétustes ou
anciennes. Parallèlement nous avons compté six maisons neuves et cinq ensembles
construits pendant la communauté des propriétaires. Françoise Changeux compte
95 reconstructions et 273 constructions neuves (dont 226 entre 1788 et 1792)
sur un ensemble de 475 procès verbaux (La maison parisienne au XVIIIe siècle,
mémoire de maîtrise, sous la direction de Daniel Roche, Paris-VII, 1978, 212
p.).
[25] Mercier Louis Sébastien, Tableau
de Paris, Amsterdam, 1782-1788, chap. DCXXXVI.
[26] « … avant la construction d’un bâtiment. Il
faut bien diriger les plans, profils et élévations, faire un devis et marché
devant notaire, fixer le prix des ouvrages, paiements d’iceux, limiter le temps
possible pour la construction pour jouir du revenu audit temps limité, à peine
de tous dommages et intérêts » (Monroy J. F., Traité d'architecture pratique..., Paris, 1789, VIII, p. 45 et p.
143).
[27] Le Camus de Mézières précise que
le propriétaire peut se réserver « la faculté de pouvoir augmenter, diminuer, suspendre même les travaux
s’il lui convient, sans que le sieur entrepreneur puisse en demander et répéter
aucune indemnité, en remplissant toutefois le sieur propriétaire, les
conventions des paiemens pour les termes précisés » (Guide de ceux qui veulent bâtir, Paris,
1781, tome II, p. 237).
[28] Le Camus de Mézières Nicolas, Guide…, tome I, lettre II.
[29] Le Camus de Mézières Nicolas, Guide…, tome I, p. 249.
[30] « Au XVIIe siècle et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, être
architecte n’est pas encore tout à fait une profession, mais un titre, […]
ou plutôt un qualificatif […] ; par leur origine, par leur formation, par
leur pratique, les architectes français se confondent encore souvent avec les
maîtres maçons ; [… ainsi] ce sont les mêmes hommes qui se conduisent en
architecte et en entrepreneur, selon les chantiers […] les interférences
entre les qualités de maçon et d’architecte, la difficulté même de contrôler le
titre d’architecte du roi sont les symptômes les plus clairs d’un statut encore
ambigu» Mignot Claude, « Architectes du Grand Siècle : un nouveau
professionnalisme » dans Histoire de l’architecte, dir. L. Caillebat,
Paris pp. 107-127, notes pp. 262-263.
[31] « L’autonomie de l’architecte face aux différentes professions du
bâtiment est le résultat d’une lente évolution, amorcée au XVe siècle en Italie
et qui se poursuit jusqu’à la fin de l’Ancien Régime en France [...] La
position de l’architecte s’affermit face à l’ingénieur, à l’édile et aux
métiers corporatifs de la construction. Que certains représentants de ces
professions aient pu s’attribuer le titre d’architecte, ou être nommés tels
dans les pièces d’archives du XVe au XVIIIe siècle montre
l’ambiguïté de la discipline naissante et son aura sociale montante »
(Mosser Monique et Rabreau Daniel, « L’Académie Royale et l’enseignement
de l’architecture au XVIIIe siècle », dans Les archives de
l’Architecture moderne, no. 25, 1983, p. 47-67). Parmi les 295
architectes réunis par Michel Gallet seuls 74 correspondent à l’acception
moderne du terme ; les autres étant des entrepreneurs (Carvais Robert
« La force du droit. Contribution à la définition de l’entrepreneur
parisien du bâtiment au XVIIIe siècle », dans Histoire, Économie et
Société, 1995, no 2, p. 170, note 47; Gallet Michel, Demeures
parisiennes à l’époque Louis XVI, Paris, 1964).
[32] Même si certains architectes
portent également le titre d’ingénieur, tel Pierre Le Muet. Pierre-Denis
Boudriot pense d’ailleurs que « c’est
précisément son expérience d’ingénieur militaire, bien plus que ses
réalisations civiles, qui est à l’origine du traitement singulièrement novateur
de la ‘Manière de bien bastir’ » ( « Une source pour l’étude
de l’habitat parisien au début du XVIIe siècle : Pierre Le Muet »,
dans Histoire, Économie et Sociétés, no 1, 1985, p. 29). En
province les ingénieurs ont joué un rôle important dans l’aménagement urbain et la diffusion des nouveaux modèles lors de la
période qui nous intéresse (Rollenhagen Tilly, Linnéa. « L'édification des
quais de Toulouse au XVIIIe siècle, références architecturales
nationales ? » dans L’Art du Sud,
Actes du Congrès CTHS à Toulouse, Paris, 2003, p. 165-180).
[33] Arch. nat., Z1j 1198
(30 octobre 1789), cette maison subsiste partiellement au 16, impasse Saint-Sébastien
(Paris 11e).
[34] Desgodets Antoine, Loi des
bâtiments suivant la coutume de Paris, 1742, p. 26.
[35] Delamare, Traité de police, Paris, 1738,
p. 72.
[36] Mercier Louis Sébastien, Tableau…,
chapitre DCXL.
[37] Plusieurs ouvrages proposent des
exemples de devis aux particuliers (Bullet, Architecture
Moderne et Bélidor). Parfois le devis précise qu’un élément du bâtiment
doit être réalisé suivant le modèle présent dans une autre maison.
[38] Le marché entre Regnault et
Rocquet est clos en juin 1727 et celui de Rondelle et Marion en mai 1731. Voir
également Arch. nat., Z1j 570, 2 janvier 1725 ainsi que trois constitutions passées devant des
notaires à Rouen (que nous n’avons pas consulté) : Le Cocque [Cocq] et
Rueillon, le 24 mars 1724 ; Grevaunal et Ruellon, le 28 février
1724 ; Le Videral et Le Cocq, le 6 avril 1724.
[39] Arch. nat., Min. centr. LIX, 251, les 1er et 10
août 1753.
[40] Le Muet Pierre, Manière de bien
bastir pour toutes sortes de personnes, fac-simlié avec introduction par
Claude Mignot, Aix-en-Provence, 1981.
[41] Architecture moderne, p. 2.
[42] Le Camus de Mézières Nicolas, Guide…, tome I, p. 41, p. 46 et pp.
48-49.
[43]Monroy J. F., Traité…, p. 156-160.
[44] Mercier Louis Sébastien, Tableau…,
chapitre DCXXXVI et DCXXXVII.
[45] Desgodets Antoine, Loi…,
p. 101, note 16, Carvais Robert, Le
statut…, pp. 243-248. Les bâtiments
des particuliers étaient couverts par une garantie décennale des malfaçons dues
par l’entrepreneur (Delamare, 1738, t. 4, titre IV, chap. III, p. 39). « Lorsque
les travaux avaient été effectués par un entrepreneur, la responsabilité de
ceux-ci lui incombait. […] Le maître maçon était garant pendant dix ans de la
défectuosité de ses ouvrages, soit que les matériaux lui eussent été fournis
par le propriétaire de l’édifice, soit qu’il eût travaillé sous les ordres d’un
architecte » (Letrait, Jean-Jacques « La communauté des maîtres
maçons de Paris au XVIIe et XVIIIe siècles » publiée
dans la Revue d’histoire du droit
français et étranger, 1948, pp. 115, 118 et 130).
[46] Arch.
nat., Z1j 399, 1er mars 1690. De manière semblable, une maison
rue Férou est habitée par sa propriétaire, une veuve, et en partie mise en
location (Arch. nat., Z1j 1061, 7 juin 1780).
[47] Sculpteur ordinaire du Roi, ancien
professeur de son Académie royale de peinture et sculpture, Arch. nat., Min.
centr., LIV, 698, 28 février 1708 et Arch. nat., Z1j 496, 12 octobre
1709. Mazeline est décédé dans la maison à la Villeneuve-sur-Gravois.
[48] Les sieurs Sénéchal, Gorgebas,
Trison, Le Roux, Lespine, Paumier et Saint-Yuer, ainsi que les dames Raphael et
Vogot. 352 livres sont dues pour des loyers annuels et 96 livres 10 sols pour
un, plusieurs ou des reliquats de termes (Arch. nat., Min. centr., LIV, 698, 28
février 1708).
[49] Cojannot Alexandre, « La
maison Le Vau, 3, quai d’Anjou », dans L’île Saint-Louis, éd.
DAAVP, Paris, 1997, pp. 107-111..
[50] Daniel Roche signale une
proportion non négligeable de logeuses et parmi elles des veuves (essentiellement
locataires des lieux) : « la
majorité des veuves qui donnent à loger sont en 1721 dans la catégorie des
hôtels à petite porte et non
dans celle, plus haut de gamme, des hôtels à porte cochère » (La
ville promise, mobilité et accueil à Paris (fin XVIIe-début XIXe siècle),
Paris, 2000, p. 312).
[51] Arch. nat., Z1j 932 (31
août 1769).
[52] Le partage après décès de Louis
Lefebvre est mentionné dans l’inventaire de la veuve ; l’acte est passé devant
Dutartre le 24 décembre 1730 (Arch. nat., Min. centr., LXXVII, 55).
[53] Inventaire après décès (Arch.
nat., Min. centr., XLV, 505, 30 mars 1759) et estimation de sa succession
(Arch. nat., Z1j 854, 17 juillet 1759).
[54] Pour l’une des boutiques et une
partie de l’entresol.
[55] Un « ancien bail de la maison » passé par la veuve avec un sieur
Poupardieu, marchand de vin, et un autre bail sous signature privée avec Étienne
Camel (maître perruquier) et sa femme Anne Pleinat, daté du 21 janvier 1754
pour un loyer annuel de 400 livres. Selon l’acte ces baux étaient accompagnés
d’états des lieux.
[56] Arch. nat., Z1j 307, 15
avril 1670.
[57] Partage de la succession de Marc
Morillon (Arch. nat., Z1j 854, 18 juillet 1759), dans un premier
temps il est copropriétaire avec son beau-père Marcelin Breauvoyne, maître
mercier et marchand bourgeois de Paris d’une maison rue Mouffetard et de trois
maisons dans le faubourg Saint-Germain. Au moment de son décès le beau-père est
également copropriétaire d’une « boutique
et marchandises de la société du père et fils Breauvoyne […] dans la grande
salle du palais où pend pour enseigne l'Agneau Pascal » (Arch.
nat., Min. centr., VI, 683, 3 mai 1737). Comme Morillon il est locataire de son
logement, jusqu’en 1720 il loge rue de la Calande, en 1720, il sous-loue une
cuisine, une salle à manger, une salle et deux chambres d’un appartement au
quatrième étage d'une maison rue de la Pelleterie pour 70 livres. En 1721, 1729
et 1737 il loue une cuisine et une petite salle à manger (au rez-de-chaussée),
une antichambre, un petit cabinet et une chambre (au premier étage), ainsi que
des caves rue Saint-Honoré. En 1731, son fils Charles François loge chez lui avec
son épouse (ils travaillent dans l’entreprise familiale, outre un tiers des
bénéfices ; ils sont logés, nourris et chauffés (acte passé devant Marchand
et de la Balle le 28 juin 1731).
[58] La moitié d’une maison à l’angle
des rues de la Boucherie et Saint-Honoré, une maison rue Saint-Honoré ainsi qu’un appartement rue Saint-Martin et
une maison garnie grande rue d'Etampes (quatre chambres, un cabinet, une salle
et un jardin), Arch. nat., Min. centr., LXV, 400, 7 août 1777.
[59] Avec vue sur une cour et des
jardins, située au troisième étage d’une maison sise cour du Lion, enclos et
paroisse du Temple (Arch. nat., Min. Centr., LXV, 400, 4 août 1777).
[60] Arch. nat., Min. centr., XCVIII,
348, 1 avril 1701.
[61] Une maison à l’enseigne « le roi Charlemagne », sise rue
de la Corne, acquise avec sa femme avant 1694 (vente répertoriée dans
l'inventaire après décès de sa femme, Marie de Verlamon, Henry et Levasseur, 29
décembre 1694). Il est également copropriétaire d’une maison rue du Petit Lyon.
Les locataires mentionnés dans son inventaire après décès sont : Martin,
dame Leblanc, veuve Regnault et veuve Duplé, qui doivent ensemble à la
succession un montant total de 13 livres 17 sols et 10 deniers.
[62] Il habite un appartement au 3e
étage, composé d’une cuisine sur la cour, d’un passage à côté, d’une chambre
sur la cour, d’une grande chambre sur la rue, d’un passage pour aller à la
chambre, d’un petit cabinet à côté de la chambre sur la rue, d’un atelier ou
laboratoire au 4e étage sur
la rue, d’une chambre au 5e étage et de trois caves (Arch. nat.,
Min. centr., XIX, 666, 12 août 1728).
[63] Mercier Louis Sébastien, Tableau
…, chap. CDXX.
[64]Arch. nat., Min. centr., CIX, 577,
29 août 1750. Il s’agit d’une copropriété où un appartement est loué à Pierre
Jubienau de la Voutte pour un loyer annuel de 300 livres (il est composé de
quatre pièces au 2e étage et de quatre chambres au 3e).
[65] Arch. nat., Min. centr., CXV, 675,
16 janvier 1754.
[66] Arch. nat., Min. centr., LII, 226
20 avril 1724 et LII, 228, 14 décembre 1724.
[67] Arch. nat., Min. centr., LII, 226
20 avril 1724 et LII, 228, 14 décembre 1724.
[68] Arch. nat., Min. centr., LIX, 233,
20 novembre 1744.
[69] Ferrière, La science parfaite des notaires, ou le parfait notaire, Paris,
1771, p. 279.
[70] Arch. nat., Z1j 395, 3
septembre 1689.
[71] Bail à location pour Pierre Michel
Huart, imprimeur et libraire de la reine et de Mgr le Dauphin et Marie Anne
Berruyer, sa femme (Arch. nat., Min. centr., C, 613, 1 août 1753).
[72] « ... lorsque le propriétaire
vend l'héritage ou la maison qu'il avait louée, l'acquéreur a le droit de faire
résilier le bail, et d'affermer la chose à un autre; et dans ce cas-là, celui
qui a fait le bail est tenu des dommages et intérêts du fermier ou
locataire » (Denisart, Collection des décisions nouvelles et de notions
relatives à la jurisprudence actuelle ..., Paris, 1771, p. 186).
[73] Arch.
nat., Min. centr., CVI, 366, 14 mars 1759.
[74] Arch. nat., Min. centr., LIX, 250,
20 juin 1753 et LIX, 260, 28 janvier 1758.
[75] L’étude d’Olivier Zeller confirme
ces liens (« Un mode d'habiter à Lyon au XVIIIe siècle. La
pratique de la location principale. », dans Revue d'histoire moderne et
contemporaine, XXXV, 1988, 1, p. 46.)
[76] Arch. nat., Min. centr., LII, 228,
14 décembre 1724.
[77] Arch. nat., Min. centr., LII, 226,
20 avril 1724.
[78]« … le milieu des aubergistes reste un milieu de locataires et de principal
locataire, et le montant des loyers grève fortement le fonctionnement des
établissements »… (Roche Daniel, La ville …, p. 315-316).
[79] Sur les listes de l'État de Paris,
publiées par Jèze en 1757-1765, les traiteurs occupent la première place pour
le cumul des activités : 9,5 % (soit 43 cas sur 450 recensés) et avant 1789, 16
% des aubergistes ont un autre métier (Roche Daniel, La ville…, p. 294).
[80] Les descriptions réunies n’en
comportent d’ailleurs qu’une seule mention où des experts-jurés rapportent, à
l’occasion d’une visite, qu’ils ont « parlé avec la dame Giroud qui [leur] a dit être la concierge de la maison » (Arch. nat., Z1j
688, 27 juillet 1779).
[81] Garrioch
David, The neigbourhood and Community in Paris, 1740-1790, Cambridge
New-York, 1986, p. 34-35.
[82] Une ordonnance du mois de décembre
1551 interdit, sous des peines très sévères, à tous propriétaires et principaux
locataires de maisons de louer ou sous-louer « à des filles de débauche, des gens sans aveu ou de mauvaise vie,
aucuns appartemens dépendans des
maisons de la location dont ils sont chargés » (Poix de
Freminville, Dictionnaire ou traité de police générale des villes, bourgs,
paroisses et seigneuries de la campagne, 1771, « Femmes de mauvaise
vie. Propriétaires, locataires »). Mercier rappelle cette interdiction
mais précise que « sans elles
néanmoins la moitié des appartements seraient vides. Les perruquiers et les
marchands de vin sont les principaux propriétaires de ces sales tripots ;
ils en tirent beaucoup d’argent, se font payer d’avance, vexent ces déplorables
créatures et en sont encore les espions » (Tableau …, chapitre XLVII).
[83] Une ordonnance de décembre 1607
défend « de jeter dans les rues
eaux ni ordures par les fenêtres de jour ni de nuit » (Davenne, Recueil
méthodique et raisonné des lois et règlements sur la voirie, Paris, 1824).
[84] Arch. nat., Min. centr., LIX, 260,
28 janvier 1758.
[85] Arch. nat., Min. centr., LIX, 260,
26 avril 1758.
[86] Arch. nat., Min. centr., LIX, 260,
11 mai 1758.
[87] Arch. nat., Min. centr., LXXVII,
100, 25 mai 1707.
[88] Inventaire après décès devant
Desforges et Bailly le 27 avril 1694.
[89]« Sieur
Duran, boulanger doit 6 livres sur 56 livres pour le loyer, Dame Simon pareil
loyer pour les lieux qu'elle occupe, Sieur Paget, maître vitrier la somme de 60
livres, veuve Renard : 9 livres, Sieur Jolly : 9 livres, Sieur
Lefebvre : 10 livres 10 sols, Sieur Ollouin : 7 livres 10 sols, Sieur
Gothier : 7 livres 10 sols et veuve Letellier : 7 livres 10
sols ».
[90] Arch. nat., Z1j 450, 20
octobre 1719, et expédition du bail devant Marchand le 25 avril 1718.
[91] Lemas, Nicolas « Les hommes
de plâtre … », p. 138-139.
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